Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
L’amour, toujours l’amour… hors norme (publiée le 20 février 2017)
Lors du party de Noël, mon collègue Olivier Gagnon me parlait de l’émotion ressentie lors de l’entrevue qu’il avait faite avec deux gars qui s’étaient rencontrés alors qu’ils avaient plus de soixante-dix ans, la naissance d’une histoire d’amour (Fugues de décembre 2016) Comme Olivier savait que j’avais pas mal écrit sur le vieillissement, il souhaitait connaître mon avis sur ces histoires d’amour entre deux gais vieillissants. Sur le coup, j’ai plaisanté. D’une part, je ne serai jamais un vieux sage égrainant d’un ton docte des conseils aux plus jeunes. D’autre part, ma vie sentimentale, et soi- disant conjugale, n’a jamais été un long fleuve tranquille, puisque raison et passion chez moi n’ont jamais font bon ménage. Ce n’est ni un exemple, ni un modèle.

Plus sérieusement, le questionnement d’Olivier est aussi le mien. Pourquoi de nombreux gais célibataires à l’aube du vieillissement, ne cherchent pas de partenaires ou de conjoints parmi leur classe d’âge ? Du moins, pour ceux qui aimeraient être en couple. Pourquoi beaucoup fantasment-ils toujours sur des plus jeu-nes ?  Nostalgie de leur jeunesse ou le corps vieillissant n’est-il plus objet de désir ? 
 
Bien sûr, avec l’âge, et si l’on ajoute un long célibat, on a construit sa vie, on a ses petites habitudes. On n’est pas toujours prêt à les voir bousculer à l’arrivée de l’Autre auquel il faudrait faire une place. 
 
Bien sûr, les expériences amoureuses précédentes ont laissé des traces et refroidissent avec le temps le goût de replonger dans une relation surtout quand les dernières ont laissées des cicatrices qui risquent de se rouvrir. 
 
En revanche, le désir persiste, même si on ne recherche plus de partenaires, même si l’on renonce à une sexualité active. Sauf exception comme dans le cas de Denis et Raymond rencontrés par Olivier. Peut-être que Denis et Raymond sont plus nombreux qu’on le croit. Mais si c’était le cas, cela n’aurait pas fait l’objet d’un article dans Fugues tant la banalité d’une telle histoire n’étonnerait plus personne. Même moi. 
 
Les tabous existent toujours et encore autour des relations entre hommes, entre vieux, entre vieux et jeunes. Rares sont ceux qui osent les braver dans leur propre vie, ou dans leur exposition. On pense au documentaire Les invisibles de Sébastien Lifshitz, sur des personnes aînées LGBT en France, où deux gars s’étaient rencontrés alors qu’ils avaient plus de soixante-dix ans. On pense aussi pour les relations intergénérationnelles à Gérontophilie de Bruce LaBruce, une œuvre de fiction. Et à part quelques courts-métrages peu connus, rares sont les recherches ou les créations qui abordent la question du désir et de l’amour de gais vieillissants et célibataires dans une perspective positive. Bien plus nombreuses, sont celles qui mettent en scène un homme âgé tombant en amour avec un plus jeune, et dont on sait dès les premières minutes qu’il s’agit d’une chronique d’un échec annoncé. On a tous en mémoire, le merveilleux film de Visconti, Mort à Venise, ou le long métrage Les lunettes d’or de Montaldo avec Philippe Noiret et Rupper Everett, ou encore l’adaptation pour la télévision d’un roman de Stephan Zweig, La confusion des sentiments. 
 
On pourrait multiplier les exemples de ces échecs amoureux dont la cause principale est l’écart d’âge entre les protagonistes et la présomption d’une certaine forme de pédophilie n’est jamais loin. Certains préjugés sont plus durs à déconstruire que d’autres.
 
Si la cinématographie gaie regorge de longs et courts-métrages relatant les amoures naissantes de deux adolescents, force est de cons-tater qu’à l’autre bout du spectre, c’est à peu près le désert. Comme si l’amour ne pouvait être associé qu’à la jeunesse, le désir qu’à la sortie de l’enfance. On ne peut être contre la vertu, la plupart de ces fictions jouent un rôle majeur dans la lutte contre l’homophobie, et beaucoup sont subventionnées par des programmes de sensibilisation aux réalités LGBT. On ne s’en plaindra pas. 
 
Dans une société où la jeunesse est la vertu cardinale qui tente de nous faire croire que le temps peut s’arrêter, les personnes aînées toute orientation sexuelle et tout genre confondus, disparaissent peu à peu du radar des intérêts de nos sociétés. Même si les personnes aînées deviennent démographiquement plus nombreuses dans les sociétés occidentales, elles sont moins ciblées comme consommateurs que les jeunes. Et leur effacement est proportionnel à ce que les médias leur accordent comme place. Un effacement que l’on retrouve aussi dans nos communautés. Bien sûr, quelques recherches sont menées et qui tournent autour des conditions de vie des aîné-es LGBT et de l’homophobie réelle ou supposée à laquelle ils pourraient être confrontés. Mais quid du désir, de l’amour et du sexe chez les aînés gais ? Nenni et peau de banane. Mais quid de ce fameux désir du plus âgé pour un plus jeune ? Et inversement et réciproquement ? 
 
Le sexe est sale, plus sale entre deux personnes âgées, encore plus sale quand un trop grand écart d’âge sépare les partenaires, et le désir lui ne peut être dissous dans une étude sociologique qu’elle soit qualitative ou quantitative. Reste des expériences de vie qu’il faut peut-être faire connaître. Montrer que c’est possible malgré la pression sociale, malgré les barrières intériorisées de ce qui est socialement acceptable. Que c’est possible de rencontrer quelqu’un de son âge, à 75 ans, et d’avoir avec son partenaire une vie sexuelle épanouie. 
 
Même si nous sommes en pleine période de Saint-Valentin, je ne cherche pas à faire l’apologie du couple comme l’assurance d’une vie épanouie et réussie. Bien loin de moi cette assertion. Nous connaissons tous les vicissitudes que peut engendrer la vie à deux. Se regarder les yeux dans les yeux et marcher main dans la main peut être très casse gueule aussi. L’espérance d’un beau voyage peut amener un naufrage fracassant. Et puis, il ne faudrait pas oublier ceux qui entretiennent plusieurs relations de front. À deux, à trois, à quatre… Ceux qui arpentent le désir amoureux en prenant des chemins de traverse, parfois plus ardus, qu’ils défrichent parce que non codifiés, mais qui peuvent s’avérer tout aussi épanouissant que l’autoroute bien balisée de la relation de couple avec péage, pardon, avec mariage à la clef. 
 
Par Denis-Daniel Boullé
Sur: www.fugues.com